Vitesse ordinaire et vitesse propre
En physique relativiste, la notion de vitesse peut s’exprimer de deux manières distinctes :
- La vitesse ordinaire (ou vitesse de coordonnées), notée $v$, est définie par rapport au temps du laboratoire $t$. $$ v = \frac{dx}{dt} $$ C’est la définition usuelle, héritée de la physique classique. Ici, $dx$ désigne le déplacement spatial mesuré par un observateur externe, tandis que $dt$ correspond au temps mesuré dans le référentiel de cet observateur (ou du laboratoire). En relativité restreinte, il s’agit de la vitesse d’un objet telle qu’elle est observée depuis un référentiel extérieur par rapport auquel il se déplace.
- La vitesse propre, notée $\eta$, est définie par rapport au temps propre de l’objet $ \tau $. $$ \eta = \frac{dx}{d\tau} $$ Cette grandeur exprime la distance parcourue par l’objet pour chaque unité de son propre temps écoulé.
Ces deux définitions coïncident uniquement dans la limite classique (non relativiste). En relativité restreinte, elles divergent dès que la vitesse approche celle de la lumière.
La distinction entre la vitesse ordinaire $v$ et la vitesse propre $\eta$ devient cruciale dès lors que le temps propre intervient dans la description du mouvement.
Quelle relation relie ces deux vitesses ?
Une relation simple, mais fondamentale, établit le lien entre $\eta$ et $v$ :
$$ \eta = \gamma v $$
où $\gamma$ désigne le facteur de Lorentz :
$$ \gamma = \frac{1}{\sqrt{1 - \frac{v^2}{c^2}}} $$
ou, de manière équivalente :
$$ v=\frac{\eta}{\sqrt{1+\left(\frac{\eta}{c}\right)^2}} $$
Comme $\gamma \geq 1$, il en résulte que la vitesse propre est toujours supérieure à la vitesse ordinaire.
$$ \eta \geq v $$
Les deux vitesses ne coïncident que lorsque la vitesse ordinaire est nulle, $v = 0$, c’est-à-dire lorsque l’objet est immobile.
Remarque. Selon la relativité restreinte, aucun objet matériel ne peut dépasser la vitesse de la lumière. Cette limite relativiste s’applique exclusivement à la vitesse ordinaire $ v < c $. Ainsi, même pour des valeurs extrêmement élevées de la vitesse propre $ \eta $, la vitesse ordinaire $ v $ demeure toujours inférieure à la vitesse de la lumière $ c $. $$ v=\frac{\eta}{\sqrt{1+(\eta/c)^2}}<c $$ En d’autres termes, la vitesse propre ne contrevient pas aux principes de la relativité. En réalité, ni la vitesse ordinaire $ v $ ni la vitesse propre $ \eta $ ne rendent pleinement compte du mouvement relativiste : la description correcte repose sur le quadrivecteur vitesse $ U^\mu = (\gamma c,, \gamma \vec{v}) $, qui définit la direction du mouvement dans l’espace-temps. Sa norme, égale à $ -c^2 $, est invariante pour tout observateur et traduit l’invariance du temps propre.
Exemple pratique
Considérons un objet - par exemple un vaisseau spatial - se déplaçant en ligne droite à une vitesse constante $v = 0{,}6c$, où $c$ désigne la vitesse de la lumière dans le vide.
Le facteur de Lorentz $\gamma$ est donné par :
$$ \gamma = \frac{1}{\sqrt{1 - \frac{v^2}{c^2}}} $$
En remplaçant $v = 0{,}6c$, on obtient :
$$ \gamma = \frac{1}{\sqrt{1 - (0{,}6)^2}} = \frac{1}{\sqrt{1 - 0{,}36}} = \frac{1}{\sqrt{0{,}64}} = \frac{1}{0{,}8} = 1{,}25 $$
Le résultat $\gamma = 1{,}25$ indique que le temps s’écoule plus lentement à bord du vaisseau que dans le référentiel du laboratoire.
On peut alors calculer la vitesse propre $\eta$ à partir de la relation :
$$ \eta = \gamma v $$
En substituant les valeurs :
$$ \eta = 1{,}25 \cdot 0{,}6c = 0{,}75c $$
La vitesse propre du vaisseau est donc $ 0{,}75c $, supérieure à sa vitesse ordinaire $ 0{,}6c $.
Autrement dit, pour chaque seconde de son propre temps $\tau$, le vaisseau parcourt une distance équivalente à $0{,}75c$. Dans le référentiel du laboratoire, en revanche, il se déplace à $0{,}6c$ par rapport au temps de l’observateur $t$.
Ainsi, dans son propre référentiel, l’objet couvre davantage de distance par unité de son temps propre que ce que mesure un observateur externe.
Remarque. Cette différence s’explique par le fait que le temps propre $\tau$ s’écoule plus lentement que le temps de coordonnées $t$. Par conséquent, pour un même déplacement $dx$, la vitesse propre $\eta$ est nécessairement supérieure à la vitesse ordinaire. Bien entendu, cela ne signifie nullement que l’objet dépasse la vitesse de la lumière, puisque la limite relativiste ne concerne que la vitesse ordinaire $ v < c $.
Le quadrivecteur vitesse
La vitesse propre s’inscrit dans le formalisme des quadrivecteurs - des entités mathématiques qui unifient l’espace et le temps au sein d’un cadre cohérent. Il ne s’agit donc pas d’une simple curiosité théorique.
Plus précisément, la vitesse propre correspond à la composante spatiale du quadrivecteur vitesse, défini par :
$$ U^\mu = \left( \gamma c,\ \gamma \vec{v} \right) $$
où :
- $\mu = 0, 1, 2, 3$ est l’indice à quatre composantes (une temporelle et trois spatiales) ;
- $\gamma \vec{v}$ représente le produit du facteur de Lorentz et de la vitesse ordinaire ;
- $\gamma c$ constitue la composante temporelle.
Invariance de la norme
Une propriété essentielle du quadrivecteur vitesse est que sa norme (ou sa « longueur » au sens relativiste) est invariante pour tous les observateurs :
$$ U^\mu U_\mu = -c^2 $$
Autrement dit, cette grandeur reste identique dans tout référentiel inertiel et ne dépend pas de la vitesse de l’objet.
Et ainsi de suite.