Chromodynamique quantique

La chromodynamique quantique (QCD), ou quantum chromodynamics, est la branche de la physique qui décrit l’interaction forte : la force fondamentale qui assure la cohésion des protons et des neutrons au sein du noyau atomique et, plus profondément, qui confine les quarks pour former les particules appelées hadrons.

La QCD explique pourquoi les quarks ne peuvent jamais exister à l’état libre et pourquoi, au contraire, ils se combinent pour engendrer les particules qui constituent les briques élémentaires de la matière. 

En résumé, la QCD joue pour la force forte le rôle que l’électrodynamique quantique (QED) joue pour l’électromagnétisme.

Remarque. L’interaction forte est l’une des quatre forces fondamentales de la nature, avec la gravitation, l’électromagnétisme et l’interaction faible.

De même que la QED repose sur la charge électrique, la QCD introduit un nouveau type de charge : le couleur.

Les quarks portent trois charges de couleur : rouge, vert et bleu.

illustration de l’échange de pions

Toutes les particules observables dans la nature (protons, neutrons, mésons) sont neutres en couleur, c’est-à-dire constituées de combinaisons qui s’annulent globalement :

  • Baryons
    Constitués de trois quarks, un de chaque couleur (rouge, vert et bleu). Aucun quark d’un baryon ne partage la même couleur qu’un autre.
  • Mésons
    Formés d’un quark et d’un antiquark, autrement dit un couple couleur/anticouleur. Le choix n’a pas besoin d’être identique (par exemple, bleu et antirouge).

L’interaction forte est transmise par les gluons, particules élémentaires.

L’échange de gluons virtuels est représenté dans les diagrammes de Feynman par une ligne ondulée notée $g$ dans les lignes internes.

diagramme illustrant l’émission et l’absorption d’un gluon par un quark (q)

Un quark ($q$) peut :

  • émettre un gluon virtuel  $ q \;\rightarrow\; q + g $
  • absorber un gluon virtuel  $ q + g \;\rightarrow\; q $

En QCD, la force qui confine les quarks à l’intérieur d’un hadron (comme un proton ou un neutron) s’explique comme un échange incessant de gluons entre eux.

illustration de l’échange de gluons liant des quarks dans un hadron

Les gluons sont analogues aux photons en électromagnétisme, mais avec une différence essentielle : les photons sont électriquement neutres, tandis que les gluons portent eux-mêmes une charge de couleur.

Cela implique que les gluons interagissent entre eux, ce qui confère à la QCD une richesse et une complexité bien supérieures à celles de la QED.

Dans les diagrammes de Feynman, ces auto-interactions apparaissent sous forme de sommets à trois gluons (g - g - g) ou à quatre gluons (g - g - g - g).

diagramme représentant des sommets à trois et quatre gluons

De plus, puisque les gluons transportent la charge de couleur, ils peuvent également modifier la couleur des quarks.

Par exemple, un quark rouge peut devenir bleu en émettant un gluon rouge-antibleu. Le gluon transporte la différence de charge correspondante.

diagramme montrant un quark changeant de couleur par émission de gluon

Le gluon contient un composant rouge qui annule la couleur initiale du quark et un composant antibleu qui correspond à la nouvelle couleur acquise. Cela assure la conservation globale de la charge de couleur.

Remarque. Les quarks peuvent changer de couleur, mais non de saveur. Par exemple, un quark up rouge peut devenir bleu, mais il ne se transformera jamais en quark down, quelle que soit la couleur.

Il existe huit gluons distincts ($g_1, g_2, \dots, g_8$), même si seulement six d’entre eux assurent directement l’échange de couleur entre quarks.

Gluon Combinaison non normalisée Combinaison normalisée Transition de couleur
\( g_1 \) \( r\bar{g} + g\bar{r} \) \( \frac{1}{\sqrt{2}}(r\bar{g} + g\bar{r}) \) Rouge ⇌ Vert
\( g_2 \) \( r\bar{g} - g\bar{r} \) \( \frac{1}{\sqrt{2}}(r\bar{g} - g\bar{r}) \) Rouge ⇌ Vert
\( g_3 \) \( r\bar{r} - g\bar{g} \) \( \frac{1}{\sqrt{2}}(r\bar{r} - g\bar{g}) \) Aucun échange
\( g_4 \) \( r\bar{b} + b\bar{r} \) \( \frac{1}{\sqrt{2}}(r\bar{b} + b\bar{r}) \) Rouge ⇌ Bleu
\( g_5 \) \( r\bar{b} - b\bar{r} \) \( \frac{1}{\sqrt{2}}(r\bar{b} - b\bar{r}) \) Rouge ⇌ Bleu
\( g_6 \) \( g\bar{b} + b\bar{g} \) \( \frac{1}{\sqrt{2}}(g\bar{b} + b\bar{g}) \) Vert ⇌ Bleu
\( g_7 \) \( g\bar{b} - b\bar{g} \) \( \frac{1}{\sqrt{2}}(g\bar{b} - b\bar{g}) \) Vert ⇌ Bleu
\( g_8 \) \( r\bar{r} + g\bar{g} - 2b\bar{b} \) \( \frac{1}{\sqrt{6}}(r\bar{r} + g\bar{g} - 2b\bar{b}) \) Aucun échange

Par exemple, les gluons $g_1$ et $g_2$ assurent tous deux l’échange de couleur entre quarks rouges et verts, mais ils ne sont pas identiques : $g_1$ correspond à la superposition symétrique et réelle de $r\bar{g}$ et $g\bar{r}$, tandis que $g_2$ correspond à la combinaison antisymétrique et imaginaire. Tous deux réalisent la transition $r \leftrightarrow g$, mais représentent des composantes distinctes du champ de couleur.

Les deux autres gluons, $ g_3 $ et $ g_8 $, ne modifient pas directement la couleur, mais jouent un rôle essentiel dans la dynamique du champ de couleur non abélien.

L’échange de couleur peut être représenté schématiquement de la façon suivante :

schéma de l’échange de couleur SU(3) en QCD

Remarque. La QCD est un pilier du Modèle standard de la physique des particules. Elle a permis d’expliquer la stabilité de la matière, la structure des noyaux atomiques et les résultats des expériences de diffusion à haute énergie.

Liberté asymptotique

L’une des découvertes les plus marquantes de la QCD est la liberté asymptotique.

À des distances extrêmement courtes (par exemple à l’intérieur d’un proton), la force forte s’affaiblit : les quarks se comportent presque comme s’ils étaient libres.

À l’inverse, à grande distance, l’interaction se renforce progressivement.

Cette propriété explique pourquoi, lors des collisions à très haute énergie - comme celles produites dans les accélérateurs de particules -, les quarks semblent se comporter comme des entités pratiquement indépendantes.

Confinement des quarks

La contrepartie de la liberté asymptotique est le confinement : jamais les quarks n’apparaissent isolés dans la nature.

Lorsque l’on tente de les séparer, l’énergie accumulée dans la « corde » de gluons qui les relie croît indéfiniment.

À un certain seuil, il devient plus favorable sur le plan énergétique de créer une nouvelle paire quark-antiquark ; ainsi, au lieu d’extraire un quark unique, on obtient de nouveaux états liés.

C’est pourquoi aucun quark libre n’a jamais été observé : ils existent uniquement confinés au sein des mésons et des baryons.

Remarque. Malgré les progrès considérables de la QCD, des défis théoriques majeurs demeurent : en particulier, une démonstration mathématique rigoureuse du confinement reste l’un des problèmes ouverts les plus profonds de la physique moderne.

Différences entre QCD et QED

La chromodynamique quantique (QCD) est étroitement apparentée à l’électrodynamique quantique (QED), mais elle s’en distingue sur plusieurs points essentiels.

Aspect QED (Électrodynamique quantique) QCD (Chromodynamique quantique)
Charge Charge électrique (+ / -) Couleur (rouge, vert, bleu)
Médiateur Photon (neutre) Gluon (porte couleur)
Interactions entre médiateurs Aucune Oui, les gluons interagissent entre eux
Constante de couplage Petite et fixe (α ≈ 1/137) Grande et variable (dépend de l’échelle)
Particules libres Électrons, protons Pas de quarks libres (confinement)
Phénomène caractéristique Écran : la charge paraît plus faible à grande distance Antiécran : la charge paraît plus forte à grande distance (liberté asymptotique)

Alors que la QED traite un unique type de charge (positive ou négative), la QCD introduit la notion plus riche de couleur (rouge, vert, bleu).

De plus, contrairement aux photons - neutres et sans interaction mutuelle -, les gluons portent une charge de couleur et interagissent donc directement entre eux.

Que signifient « écran » et « antiécran » ?

Pour comprendre cette différence, il faut examiner avec précision ce que recouvre la notion d’écrantage.

  • Écran en QED
    En électrodynamique quantique, le vide se polarise et engendre des paires électron-positron virtuelles, représentées dans les diagrammes de Feynman.
    diagramme de Feynman illustrant la création de paires électron-positron dans le vide
    Ainsi, une charge électrique (par exemple un électron) est entourée de paires virtuelles électron-positron. Les électrons virtuels (négatifs) sont attirés par une charge positive, tandis que les positrons sont repoussés. Il en résulte un nuage de charge opposée qui atténue le champ à grande distance. La charge observée paraît donc réduite : c’est l’écrantage.

    Exemple. En QED, le vide quantique agit comme un milieu diélectrique : les fluctuations génèrent une polarisation via des paires électron-positron virtuelles. Autour d’une charge négative $q$, le vide se polarise de façon à diminuer le champ électrique à grande distance. La charge effective $q_e(r)$ mesurée de loin est donc inférieure à la charge nue.
    illustration de l’écrantage
    Le même effet se produit pour une charge positive : la polarisation du vide réduit son influence à longue portée. Ce phénomène, appelé polarisation du vide, implique que le couplage électromagnétique (la charge effective) croît lorsque l’on sonde à courte distance.
    illustration de la polarisation du vide

  • Antiécran en QCD
    En chromodynamique quantique, le vide fourmille de fluctuations : des paires quark-antiquark virtuelles apparaissent et disparaissent sans cesse, et les gluons virtuels interagissent entre eux. La théorie prévoit d’ailleurs des sommets d’auto-interaction à trois gluons (g - g - g) et à quatre gluons (g - g - g - g). Contrairement aux photons en QED, les gluons portent une charge de couleur, ce qui leur permet d’interagir directement.
    exemples de fluctuations quantiques q-g et g-g-g
    L’interaction quark-gluon (q - g) tend à favoriser la formation de paires quark-antiquark à courte distance (et, parfois, de paires quark-quark). À l’inverse, les auto-interactions de gluons (g - g - g), rendues possibles par leur charge de couleur, renforcent l’effet contraire. L’intensité effective de la QCD se décrit par une constante de couplage qui n’est pas fixe mais varie avec la distance, selon le signe du paramètre $ \alpha $. Si $\alpha$ est positif, le couplage croît à courte distance ; s’il est négatif, il s’atténue. $$ \alpha = 2f - 11n $$ Ici $f = 6$ désigne les saveurs de quark et $n = 3$ les couleurs. En QCD, le paramètre est négatif, $\alpha = -21$, ce qui signifie que le couplage décroît à courte distance : c’est le phénomène de liberté asymptotique, qui fait que les quarks se comportent presque comme libres à l’intérieur des hadrons. Parallèlement, on observe un antiécrantage : les fluctuations de gluons virtuels renforcent l’interaction de couleur (ou la charge effective $ q_e $) lorsqu’on augmente la séparation $ r $, au lieu de l’affaiblir comme en QED avec l’écrantage du vide. 
    illustration de l’antiécrantage
    Le résultat est que la constante de couplage forte $ \alpha_s $ croît avec la distance. À très courte échelle - comme dans les collisions à haute énergie - l’interaction s’atténue et les quarks se comportent presque comme libres (liberté asymptotique). À plus grande échelle, en revanche, l’interaction se renforce (antiécran), ce qui assure que les quarks demeurent confinés à l’intérieur des hadrons.

Et ainsi de suite. 

 


 

Please feel free to point out any errors or typos, or share suggestions to improve these notes.

FacebookTwitterLinkedinLinkedin

Physique des particules

Particules

Questions fréquentes