Force Nucléaire Résiduelle

La force nucléaire résiduelle est une interaction attractive à très courte portée qui assure la cohésion des protons et des neutrons à l’intérieur du noyau atomique. Elle résulte de l’échange de pions virtuels entre nucléons.
illustration of pion exchange

L’interaction forte se manifeste à deux niveaux distincts :

  • Force forte fondamentale
    Elle agit entre quarks et gluons à l’intérieur des nucléons (protons et neutrons). Transmise par les gluons, elle est responsable du confinement des quarks et s’exerce à des échelles subnucléaires, sur une distance inférieure à un femtomètre (≲ 1 fm).
  • Force nucléaire résiduelle
    Elle agit entre nucléons à l’intérieur du noyau atomique. Médiée par des pions virtuels (mésons), elle génère la cohésion qui stabilise le noyau. Active à des distances de l’ordre de 1 à 2 femtomètres, elle explique pourquoi les noyaux subsistent malgré la répulsion électrostatique entre protons chargés positivement.

    Pourquoi « résiduelle » ? L’adjectif « résiduelle » désigne l’effet persistant de l’interaction forte fondamentale entre quarks. Bien que les quarks soient confinés dans les nucléons, le champ qui leur est associé ne s’annule pas strictement à leurs frontières. Ce champ excédentaire engendre une interaction secondaire entre nucléons : la force nucléaire résiduelle.

En d’autres termes, la force résiduelle constitue un effet indirect de l’interaction forte sous-jacente, à l’image des forces de Van der Waals qui apparaissent comme des interactions électromagnétiques résiduelles entre molécules neutres.

Mécanisme d’action de la Force Nucléaire Résiduelle

Le noyau atomique renferme plusieurs protons, tous porteurs d’une charge positive. La répulsion électrostatique devrait les séparer, et pourtant ils demeurent liés.

La force qui les maintient ensemble est très intense mais de portée extrêmement limitée : la force nucléaire résiduelle.

Elle est de loin plus puissante que la force électromagnétique et garantit la cohésion des protons et des neutrons dans le noyau.

Cependant, son action se restreint à des distances de l’ordre de 1 à 2 femtomètres.

Le Modèle de Yukawa

En 1935, Hideki Yukawa proposa que les nucléons s’attirent par l’échange de particules virtuelles appelées mésons, aujourd’hui identifiées principalement comme des pions (\$\pi^+, \pi^-, \pi^0\$).

Ce va-et-vient incessant de pions virtuels joue le rôle d’une « colle quantique » qui soude les nucléons.

illustration of pion exchange

Remarque. Les pions en jeu dans cette interaction sont virtuels : ils n’existent que fugitivement, en vertu du principe d’incertitude de Heisenberg. On peut se les représenter comme une balle (le pion) que deux joueurs (les nucléons) se renvoient sans cesse. Même sans contact direct, cet échange répété crée une force de liaison.

On distingue trois types principaux d’interactions nucléon-nucléon :

  • proton - neutron (p - n)
  • proton - proton (p - p)
  • neutron - neutron (n - n)

La nature des pions échangés - chargés ou neutres - dépend du couple de nucléons considéré.

Le composant p - n de la Force Résiduelle

L’interaction résiduelle entre un proton et un neutron est surtout assurée par l’échange de pions chargés (\$\pi^+\$, \$\pi^-\$), même si les pions neutres (\$\pi^0\$) jouent aussi un rôle.

Dans l’interaction proton - neutron, plusieurs processus d’échange sont possibles :

  • Un proton émet un pion positif \$\pi^+\$ et se transforme momentanément en neutron : $$ p \rightarrow n + \pi^+ $$ Le \$\pi^+\$ est absorbé par un neutron voisin, qui devient proton : $$ n + \pi^+ \rightarrow p $$
  • Un neutron émet un pion négatif \$\pi^-\$ et se convertit temporairement en proton : $$ n \rightarrow p + \pi^- $$ Le \$\pi^-\$ est absorbé par un proton, qui se change en neutron : $$ p + \pi^- \rightarrow n $$
  • Un neutron émet un pion neutre \$\pi^0\$ et reste neutron : $$ n \rightarrow n + \pi^0 $$ Le pion est absorbé par un proton voisin, qui demeure proton : $$ p + \pi^0 \rightarrow p $$
  • Un proton émet un pion neutre \$\pi^0\$ et reste proton : $$ p \rightarrow p + \pi^0 $$ Le pion est absorbé par un neutron, qui reste neutron : $$ n + \pi^0 \rightarrow n $$

Ces échanges incessants de pions chargés (\$\pi^+\$, \$\pi^-\$) entre protons et neutrons génèrent une force attractive de courte portée : la force nucléaire résiduelle qui les maintient unis dans le noyau.

L’échange de pions neutres (\$\pi^0\$) est moins intense, mais contribue de manière non négligeable à la stabilité nucléaire.

Les composantes p - p et n - n de la Force Résiduelle

L’interaction résiduelle entre nucléons identiques (proton - proton ou neutron - neutron) est principalement médiée par des pions neutres (\$\pi^0\$).

  • Interaction proton - proton (p - p)
    Un proton émet un pion neutre et reste inchangé : $$ p \rightarrow p + \pi^0 $$ Le pion est absorbé par un proton voisin, qui demeure proton : $$ p + \pi^0 \rightarrow p $$ Cet échange produit une force attractive à courte portée : le composant p - p de la force nucléaire résiduelle.
  • Interaction neutron - neutron (n - n)
    Un neutron émet un pion neutre et conserve son identité : $$ n \rightarrow n + \pi^0 $$ Le pion est absorbé par un autre neutron, qui reste neutron : $$ n + \pi^0 \rightarrow n $$ Cet échange virtuel constitue le composant n - n de la force nucléaire résiduelle.

Même si l’échange de pions neutres ne modifie pas l’identité des nucléons, il engendre une attraction résiduelle, généralement plus faible que l’interaction p - n par pions chargés.

Cette contribution est particulièrement déterminante dans la stabilité des noyaux riches en neutrons.

Remarque. L’échange de pions neutres (\$\pi^0\$) peut intervenir dans tous les couples - p - p, n - n ou p - n - sans changer l’identité des nucléons impliqués.

Un exemple concret

Le deutérium est le noyau de l’hydrogène lourd, constitué d’un proton et d’un neutron liés ensemble.

La force nucléaire résiduelle qui les maintient unis provient de l’échange virtuel de pions chargés :

$$ p \rightarrow n + \pi^+ \quad ; \quad n + \pi^+ \rightarrow p $$

ou encore :

$$ n \rightarrow p + \pi^- \quad ; \quad p + \pi^- \rightarrow n $$

Chaque nucléon émet et absorbe tour à tour des pions chargés, se transformant fugacement en son homologue.

Ces échanges induisent une force attractive de courte portée (≈ 1 - 2 fm), garantissant la stabilité du noyau de deutérium.

Remarque. Le deutérium est le noyau le plus simple où l’on observe clairement les effets de la force nucléaire résiduelle. Sans cette interaction médiée par les pions, le deutérium ne pourrait pas exister.

Le potentiel de Yukawa

Le potentiel associé à la force nucléaire résiduelle s’exprime sous la forme d’une fonction exponentielle :

$$ V(r) = -g^2 \frac{e^{-\mu r}}{r} $$

Où :

  • \$g\$ désigne la constante de couplage nucléaire ;
  • \$\mu\$ correspond à la masse du pion (en unités naturelles) ;
  • \$r\$ est la distance qui sépare les nucléons.

À très courte distance (\$r \ll 1/\mu\$), le potentiel est fortement attractif. Lorsque la distance augmente, le facteur exponentiel atténue rapidement l’interaction jusqu’à la rendre quasi nulle.

Cette force n’est donc efficace qu’à l’échelle caractéristique des nucléons (≈ 1 - 2 femtomètres). Elle assure leur cohésion au sein d’un même noyau, mais ne s’exerce pas entre noyaux distincts. Ce caractère localisé contribue, en partie, à expliquer la stabilité des molécules.

Comparaison entre l’interaction forte fondamentale et sa composante résiduelle

Le tableau ci-dessous récapitule les principales différences entre l’interaction forte fondamentale et sa manifestation résiduelle :

Aspect Interaction forte fondamentale Force nucléaire résiduelle
Médiateur Gluons (via la charge de couleur) Pions (mésons)
Agit entre Quarks Nucléons
Domaine Intérieur des protons et des neutrons Entre nucléons (échelle nucléaire)
Confinement des quarks Oui Non
Portée effective < 1 fm ≈ 1 - 2 fm

En substance, les gluons médient l’interaction forte uniquement entre quarks, et leur action demeure confinée à l’intérieur d’un nucléon.

Cependant, une fraction résiduelle du champ de couleur déborde au-delà des limites des nucléons. C’est cette interaction débordante qui engendre la force nucléaire résiduelle, à l’origine de la cohésion entre protons et neutrons dans le noyau.

À l’image des forces intermoléculaires, issues d’interactions dipolaires résiduelles entre molécules neutres, la force nucléaire résiduelle peut être comprise comme la trace à plus grande échelle de l’interaction de couleur fondamentale agissant à l’intérieur des nucléons.

Dans les deux cas, ce qui se manifeste comme une force distincte à une échelle supérieure n’est en réalité que la conséquence indirecte d’une interaction plus fondamentale qui opère à un niveau microscopique.

 


 

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