Modèle des quarks
Le modèle des quarks décrit les hadrons (protons, neutrons et particules étranges) comme des assemblages d’éléments plus fondamentaux, appelés quarks.
Proposé en 1964 par Murray Gell-Mann et George Zweig, il fut élaboré pour rendre intelligible l’abondance de particules subatomiques découvertes dans les années 1950 et 1960, et pour fournir une base théorique au schéma de classification des hadrons fondé sur les symétries, la Voie octuple.
Les trois premiers quarks
Au départ, trois types de quarks furent introduits, appelés saveurs :
- up (u) : charge $+\tfrac{2}{3}$, étrangeté 0
- down (d) : charge $-\tfrac{1}{3}$, étrangeté 0
- strange (s) : charge $-\tfrac{1}{3}$, étrangeté -1
Chaque quark possède un antiquark correspondant, de masse identique mais de charge et d’étrangeté opposées.
Selon leur combinaison, les quarks engendrent différentes particules.
Les baryons sont constitués de trois quarks, tandis que les antibaryons regroupent trois antiquarks.
Ainsi, le proton ($uud$) se compose de deux quarks up et d’un quark down ; le neutron ($udd$) d’un quark up et de deux quarks down. L’antiproton ($\bar{u}\bar{u}\bar{d}$) est pour sa part un antibaryon constitué de trois antiquarks.
Les mésons, en revanche, sont formés d’un quark et d’un antiquark.
Un exemple classique est le pion positif $\pi^+ = u\bar{d}$, composé d’un quark up et d’un antiquark down.
Le modèle des quarks suscita un vif intérêt, mais souleva rapidement des questions de fond.
Dans les années 1960 et 1970, deux difficultés majeures apparurent : le confinement des quarks et le respect du principe d’exclusion de Pauli.
Le problème du confinement
À la fin des années soixante, une difficulté majeure s’imposa : malgré d’innombrables tentatives, aucun quark libre n’avait jamais été observé. De quoi ébranler la crédibilité du modèle.
Pour le sauver, on avança l’hypothèse du confinement : les quarks ne peuvent exister isolés et restent enfermés à l’intérieur des hadrons. Le mécanisme responsable demeurait cependant inconnu.
Dans les années soixante-dix, les expériences de diffusion inélastique profonde révélèrent que la charge électrique du proton n’était pas répartie uniformément, mais concentrée en trois zones bien distinctes : une confirmation indirecte de l’existence des quarks.
Restait la grande énigme : pourquoi les quarks ne s’échappent-ils jamais des hadrons, et quelle force assure ce confinement permanent ?
Le problème du principe de Pauli
Certaines particules semblaient enfreindre le principe d’exclusion de Pauli, qui interdit à des fermions identiques d’occuper le même état quantique. L’exemple typique est $ \Delta^{++} = uuu $, une particule apparemment formée de trois quarks up identiques.
En 1964, Oscar Wallace Greenberg avança une solution : les quarks devaient posséder une nouvelle propriété, appelée couleur (rouge, vert et bleu).
Autrement dit, en plus de leur saveur (up, down, strange), chaque quark porte aussi une charge de couleur.
Note. Le mot « couleur » n’a ici aucun rapport avec la lumière visible. Il désigne une charge quantique gouvernant l’interaction forte. La terminologie est purement conventionnelle. Dans l’hadron $ \Delta^{++} = uuu $, par exemple, les trois quarks up se distinguent par les couleurs rouge, vert et bleu, ce qui les rend non identiques et garantit le respect du principe de Pauli.
Il en découla une règle fondamentale : tout hadron doit être neutre en couleur. Concrètement, les quarks s’associent de façon à annuler leur couleur : trois quarks de couleurs différentes, ou un couple quark-antiquark de couleur et anticolore conjuguées.

On pensa longtemps que cette règle expliquait pourquoi seules des combinaisons de deux ou trois quarks existaient.
On sait aujourd’hui que des tétraquarks et des pentaquarks existent également, mais qu’ils sont, comme les hadrons classiques, globalement neutres en couleur.
La notion de couleur est désormais au cœur de la chromodynamique quantique (QCD), la théorie moderne de l’interaction forte, où les gluons assurent la médiation en transportant la charge de couleur.
La couleur n’est-elle qu’un artifice mathématique ? À l’origine, Greenberg l’avait introduite comme simple dispositif formel pour préserver le principe de Pauli, sans appui expérimental. Par la suite, les expériences montrèrent que les quarks se comportaient comme s’ils interagissaient selon une symétrie triple, exactement ce que prédisait la théorie des couleurs. On considère donc aujourd’hui la couleur comme une propriété fondamentale de la nature, au même titre que la charge électrique ou le nombre baryonique.
Et l’histoire se poursuivit.
Un tournant décisif pour le modèle des quarks fut la découverte du méson psi ($ \psi $) en 1974.
Cette particule, neutre et étonnamment massive - plus de trois fois la masse du proton -, se révéla aussi beaucoup plus stable que prévu.
Sa durée de vie, de l’ordre de $10^{-20}$ secondes, contrastait avec les $10^{-23}$ secondes typiques des hadrons connus alors. Autrement dit, elle survivait environ mille fois plus longtemps qu’une particule comparable.
Cette stabilité inattendue indiquait clairement que le $ \psi $ devait être composé d’un nouveau quark, le charm ($ c $), associé à son antiquark :
$\psi = (c\bar{c})$
En réalité, l’hypothèse d’une quatrième saveur de quark avait déjà été avancée quelques années plus tôt par James Bjorken et Sheldon Glashow.
Note. Les physiciens avaient relevé une symétrie frappante entre leptons et quarks. Au début des années 1970, on connaissait quatre leptons ($e^- , \nu_e , \mu^- , \nu_{\mu}$) et trois quarks ($u, d, s$). Cela suggérait l’existence d’un quatrième quark. Risquée en apparence, la prédiction s’avéra exacte.
On comptait alors quatre leptons ($e^-, \nu_e, \mu^-, \nu_\mu$) et trois quarks ($u, d, s$), ce qui donnait un équilibre provisoire au tableau.
Cet équilibre fut vite rompu. En 1975, on découvrit un nouveau lepton, le tau ($\tau^-$), avec son neutrino associé ($\nu_\tau$). Les leptons passèrent ainsi à six, contre seulement quatre quarks.
Ce déséquilibre convainquit la communauté qu’il manquait encore au moins deux quarks.
Deux ans plus tard, on mit en évidence un autre méson lourd : l’upsilon $ \Upsilon $. Il se composait du cinquième quark, baptisé « beauty » ou « bottom », noté $ b $.
$$ \Upsilon = b\bar{b} $$
La quête se concentra alors sur le sixième quark, finalement observé en 1995 au Fermilab : le quark dit « top » (ou « truth »), noté $ t $.
Note. Contrairement aux précédents, le quark top ne fut pas découvert dans un méson, mais sous la forme d’une paire libre $t\bar{t}$ produite lors de collisions à haute énergie. Sa masse colossale le faisait se désintégrer presque instantanément (par exemple, $t \to W^+ b$).
Cette découverte rétablit la symétrie pressentie par Glashow : six leptons ($e^- , \nu_e , \mu^- , \nu_{\mu} , \tau^- , \nu_{\tau}$) et six quarks ($u, d, s, c, b, t$).
À l’époque, on appelait encore le cinquième et le sixième quark « beauty » et « truth », mais les dénominations normalisées en physique des particules sont aujourd’hui bottom et top.
Et l’histoire se poursuivit.