Le théorème de Noether
Chaque symétrie continue observée dans la nature correspond à une loi de conservation.
Autrement dit, chaque fois qu’un système de l’univers reste identique après un changement, qu’il s’agisse d’un déplacement dans l’espace, d’un décalage dans le temps ou d’une transformation interne, une certaine grandeur physique reste inchangée.
Ce lien fascinant entre symétrie et conservation est au cœur du théorème de Noether, l’une des idées les plus élégantes et puissantes de toute la physique moderne.
Que veut dire « symétrie » en physique ?
En physique, la symétrie ne se résume pas à une question d’harmonie visuelle. Elle désigne une transformation, par exemple un déplacement, une rotation ou un changement de phase, qui ne modifie pas les lois fondamentales du système. Si, après une telle transformation, le comportement du système reste le même, on dit qu’il est invariant sous cette symétrie.
Certaines symétries concernent l’espace ou le temps, comme les translations et les rotations, d’autres touchent la structure interne des champs, comme les symétries de jauge à la base des interactions fondamentales.
Le théorème de Noether fait le lien entre ces symétries et les grandeurs physiques qui se conservent : énergie, quantité de mouvement, moment angulaire, charge électrique, etc.
Symétries et lois de conservation
Voici quelques exemples emblématiques :
| Symétrie | Loi de conservation | Grandeur conservée |
|---|---|---|
| Invariance temporelle (les lois de la physique ne changent pas avec le temps) | Conservation de l’énergie | Énergie totale |
| Invariance spatiale (les lois sont identiques en tout point de l’espace) | Conservation de la quantité de mouvement | Quantité de mouvement |
| Invariance rotationnelle (les lois ne dépendent pas de l’orientation) | Conservation du moment angulaire | Moment angulaire |
| Invariance de jauge (les lois restent inchangées si l’on modifie la « phase interne » d’un champ) | Conservation de la charge électrique | Charge électrique |
Le théorème de Noether n’est pas une curiosité pour mathématiciens. C’est un principe universel : il explique pourquoi certaines grandeurs, comme l’énergie ou la charge électrique, ne disparaissent jamais mais se transforment ou se transmettent. En d’autres termes, il relie l’ordre profond du cosmos à la stabilité des phénomènes que nous observons.
À savoir. Albert Einstein lui-même reconnut que sans l’intuition géniale d’Emmy Noether, la relativité générale n’aurait pas acquis la rigueur mathématique qui fait aujourd’hui sa force.
La version mathématique
Le théorème s’applique aux systèmes décrits par une Lagrangienne L, fonction des coordonnées généralisées $ q_i $, de leurs vitesses $ \dot{q}_i $, et du temps $ t $ :
$$ L = L(q_i, \dot{q}_i, t) $$
Si la Lagrangienne reste inchangée (ou ne varie que d’une dérivée totale) lorsqu’on effectue une transformation continue des variables $ q_i $, alors une grandeur physique se conserve :
$$ \frac{d}{dt} \left( \frac{\partial L}{\partial \dot{q}_i} , \delta q_i \right) = 0 $$
Cette grandeur constante est appelée charge de Noether. C’est elle qui reste immuable au fil du temps.
Exemple 1 : invariance temporelle et conservation de l’énergie
Si la Lagrangienne ne dépend pas explicitement du temps, la symétrie correspondante est une translation dans le temps :
$$ \frac{ \partial L}{\partial t} = 0 $$
En clair, si l’on décale le système dans le temps, de $ t $ à $ t + \Delta t $, sans modifier sa dynamique, les lois de la physique restent identiques. Cette symétrie implique la conservation de l’énergie totale : ce qui change, c’est la forme que prend l’énergie, jamais sa quantité totale.
Note technique. Un système physique est décrit par une Lagrangienne : $$ L(q_i, \dot{q}_i, t) $$. Les équations du mouvement découlent du principe de moindre action : $$ \delta S = 0 \quad \text{avec} \quad S = \int_{t_1}^{t_2} L(q_i, \dot{q}_i, t)\, dt $$. Ce principe conduit aux équations d’Euler - Lagrange : $$ \frac{d}{dt}\left(\frac{\partial L}{\partial \dot{q}_i}\right) - \frac{\partial L}{\partial q_i} = 0 $$. Si $ \frac{\partial L}{\partial t} = 0 $, le système est invariant sous les translations temporelles. Le théorème de Noether associe alors à cette symétrie une quantité conservée : $$ E = \sum_i \dot{q}_i \frac{\partial L}{\partial \dot{q}_i} - L $$. En dérivant par rapport au temps : $$ \frac{dE}{dt} = -\frac{\partial L}{\partial t} $$. Donc, si $ L $ ne dépend pas explicitement du temps, $ \frac{dE}{dt} = 0 $, et l’énergie totale reste constante.
Exemple 2 : invariance spatiale et conservation de la quantité de mouvement
Si la Lagrangienne ne dépend pas de la position absolue $ x $, mais seulement des distances relatives, le système est invariant sous les translations dans l’espace. Cette symétrie se traduit directement par la conservation de la quantité de mouvement. Quand rien n’impose de direction privilégiée, le mouvement global reste équilibré.
Exemple 3 : invariance rotationnelle et conservation du moment angulaire
Si la Lagrangienne reste identique lorsqu’on fait tourner le système, la symétrie est rotationnelle et la grandeur conservée est le moment angulaire. C’est ce principe qui explique, par exemple, pourquoi une patineuse accélère sa rotation en rapprochant les bras de son corps.
De la chute d’une pomme à la cohérence interne des particules élémentaires, le théorème de Noether agit comme un fil conducteur invisible reliant toutes les lois de la physique. Il unifie la mécanique classique, la relativité et la théorie quantique des champs sous une idée commune : la symétrie est le langage secret de l’univers.